Un roi très puissant, qui un jour s’ennuyait, convoqua un ancien maître de sagesse, et lui demanda de conter une histoire.
– Majesté, répondit le derviche, je vous raconterai bien l’histoire du roi qui fut le plus généreux de tous les temps, car si vous lui ressembliez, vous seriez certainement le plus grand roi des vivants !
On sentit une vive tension monter chez tous ceux qui écoutaient cet échange, car personne ne parla ainsi au roi. Il était coutumier de lui laisser entendre qu’il était déjà le plus grand roi vivant, car bien entendu, il possédait les plus grandes qualités à un degré jamais élevé.
– Raconte moi cette histoire, répliqua le roi, visiblement agacé mais prends garde à toi, car si ton histoire n’est pas à la hauteur de tes paroles, tu auras la tête tranchée pour avoir calomnié ton roi.
L’Ancien qui ne se démontait point, raconta alors la longue histoire d’un roi, qui sacrifia son royaume et même sa propre personne pour que nul ne puisse jamais souffrir à cause de lui. Après avoir entendu cette histoire, qui l’avait captivé, le roi en oublia ses menaces et déclara :
– Voici un excellent conte, très cher, dont nous saurons bien tirer profit !
Toi, tu ne peux pas en profiter, puisque tu ne possèdes rien et tu n’as rien à donner… Tu as renoncé à tout, et n’attends plus rien de cette vie.
Mais moi, je suis un roi, je suis le roi le plus puissant et riche, et tu verras que je peux me montrer le plus généreux de tous, plus que tu ne pourrais jamais imaginer !
Suis-moi et regarde ce que je vais faire !
Le roi s’en fut en haut d’une colline qui surplombait la ville ; il y convoqua ses meilleurs architectes ; et leur ordonna de construire un immense bâtiment composé d’une grande pièce centrale entourée d’un mur de quarante fenêtres.
Puis il ordonna qu’on déplace la moitié de sa fortune à ‘intérieur dudit bâtiment.
Tous les moyens de transports furent mis en oeuvre pour rapporter son immense trésor, ce qui prit beaucoup de temps.
Une fois que tout fut prêt, le roi fit annoncer dans tout le royaume que chaque jour, il serait présent à l’une des fenêtres pour distribuer ses richesses au indigents et misérables du royaume !
Rapidement, la nouvelle se répandit, et chaque jour, les nécessiteux se pressaient autour des nombreuses fenêtres, afin de recevoir quelques pièces d’or de la part de l’immense roi.
Au bout de plusieurs jours, le Roi remarqua néanmoins le manège de l’un des pauvres, visiblement un derviche ou autre sage qui quotidiennement venait, prenait une pièce d’or, puis s’en alla, sans même prendre le temps de le remercier, contrairement aux autres mendiants, riches de courbettes et de mots gentils.
Le roi fut surpris de voir venir un tel homme pour recevoir des pièces d’or.
Au début, il lui trouva de bonnes raisons : il disait que c’état pour distribuer certainement ces pièces aux autres invalides pauvres, que c’était une forme de charité…
Mais la suspicion faisait lentement son œuvre, et au bout d’une quarantaine de jours, patience à bout, le roi s’irrita ouvertement de ce manège et interpella le soi-disant pauvre philosophe :
– Espèce d’ingrat !
Ne sais-tu pas exprimer ta gratitude pour ce que je fais ? ne peux-tu pas t’incliner comme les autres ?Tu viens jour après jour recevoir une pièce d’or, pas un seul sourire de ta part ?
Combien de temps cela va-t-il durer ? Profites-tu de ma richesse pour t’enrichir, pour pratiquer l’usure, qui sait ?
Ton comportement n’est pas digne de ce que tu prétends être ! Tu portes cet accoutrement rapiécé pour mieux nous tromper !
Dès que ces paroles furent prononcées, le cheveu gris sage sortit les quarante pièces d’or de sa besace et les jeta aux pieds du roi, aux yeux de tous !
– Reprends ton or, roi généreux et cupide !
Car sache que la générosité n’a de sens qu’à trois conditions !
= Donner sans éprouver le sentiment de fierté d’être généreux et de le faire savoir !
= Donner sans rien attendre !
= Donner sans juger, sans jamais douter de quiconque !
Saurais-tu jamais être généreux, ô mon Roi ?