Il était une fois un prince puissant, pauvre de vie… Son cœur était semblable à une gare vide… Il se dit qu’il allait mourir si la grisaille, autour de lui, ne s’animait, ne s’échauffait, n’amenait son âme en vacances de l’autre côté de sa peau…

Un soir germa sous les cheveux de sa vieille mère encore présente qui détestait le voir dolent, une idée lumineuse et gaie.

– Fils, pourquoi n’inviteriez-vous pas quelque compagnie de beaux peintres à faire entrer dans ce palais les couleurs oubliées dehors ?

– Bah, pourquoi pas, répondit-il grognon. Je te laisse t’en occuper, d’accord ?

Dès la prochaine matinée, branle-bas de joyeux travail. Les murs des chambres, des couloirs, des rideaux sombres, des fenêtres obscures, plafonds des salles à manger, les cuisines, les ciels de lits furent bientôt couverts de nuages, d’oiseaux, de montagnes lumineuses, de voiliers, d’océans, de prairies gazouillantes, de verges papillons, des mille et une vies du monde.

Après une saison d’inventives merveilles ne resta plis, au fond d’un corridor perdu mineur, qu’un petit panneau de porte muette. Il n’avait inspiré en fait personne…

Vint alors un matin d’été, un artiste de vieille mine qui, cherchant à poser quelque part son pinceau, découvrit la surface nue. Lui revint en mémoire une jeune fermière rencontrée au bord d’un étang rose. Son inoubliable visage avait ébloui sa journée. Il la revit, penchée sur l’eau, à l’ombre d’un bouquet d’ajoncs. Il la peignit ainsi, fidèle à son bienheureux souvenir.

Lorsque le prince puissant de ses richesses matérielles la découvrit, il demeura, lampe haute, pareil à un enfant béat devant des gourmandises affriolantes. Il murmura :

– Est-elle vraie ?

– Majesté, répondit le peintre, mon pinceau ne saurait mentir.

– Mais, je la veux, elle m’est destinée ! C’est un signe que cette présence picturale !

Cent cavaliers vêtus de rouges et de roses partirent sur l’heure au galop. Ils la ramenèrent au palais, tremblante comme un oiselet…Le prince la reçut fièrement et royalement :

– Voici ma princesse !

Et à ses pieds, il s’agenouilla.

– Ohh prince, je suis déjà mariée !

Il pencha sur elle son front luisant :

– Qu’importe !!! Et que m’importe, bonheur vivant ! A toi mes jours, à toi mon âme, à toi, la chambre où je suis né, à toi seule, ma désirée, tout ce que le Ciel m’a donné ! Tu es et seras mon épouse sinon je sais que j’en mourrai !

Quand un prince puissant de son armée parle ainsi… la femme impuissante regarda ses pieds et le mariage, au yeux du prince, fut de toute beauté…

Quatre saisons vinrent, et partirent sans que l’épouse en voie rien.

Un jour, dans le jardin, sous un pin parasol, une fleur mauve à peine ouverte attira son regard, ses narines, ses mains. Elle la cueillit, la respira, la tint longtemps, longtemps contre sa bouche, contre sa poitrine…

Ma princesse cœur aimant, dit son nouvel amant, vos yeux s’embuent… Pourquoi ?

Elle lui répondit :

– Ahhhh mon Seigneur, ces pétales sont parfumés comme l’était mon cher époux au temps de ma jeunesse heureuse. Je me souviens, c’est doux, c’est bon et… j’ai mal…

– Votre misérable chagrin est indigne de vous, madame, gronda le monarque, l’œil noir et jaloux après tous les fastes offerts depuis tout ce temps… Alors j’enverrai chercher dès demain ce vieux mari fleuri de songes pour vérifier ce que vous affirmez. Si son parfum est agréable, il vivra… sinon… la mort !

Dix soldats s’en allèrent et ramèrent l’homme de force. Au pied du trône, il se tint droit. Il était simplement vêtu. On le considéra de haut, on rit de ses mains nomades de berger… Enfin, on flaira l’air autour de son habit, et les regards soudain lointains semblèrent voir le paradis… Incroyable !

Les juges en restèrent muets comme au bord d’une ivresse exquise. Le roi, les sourcils batailleurs, dit à l’impassible nomade berger :

– Qui t’a offert cette merveille inconnue même de mes sens ?

Le pauvre homme de son état, riche de ses intérieurs, répondit :

– L’amour !, seigneur… Ma chère femme oubliée, sur le lit de nos épousailles, frotta mon corps de ces fleurs mauves mouillées par la rosée du soir. Il me suffit, depuis ce temps, d’imaginer son corps, sa bouche, son rire, son regard azuré aimant, pour que ce parfum me revienne, et m’envahisse et dise aux gens :  « je suis à jamais son amant éternel »…

Alors la princesse se leva et s’en vint droit à l’homme simple. Elle prit sa main, et sans un mot, ils sortirent dans le beau temps. Le prince se tut, baissa le front et regarda ses pieds, incrédule.

Certains affirment qu’il pleura de se voir soudain si seul au monde… et l’arrogance s’enfuit de sa personne depuis ce jour mauve…

Alors…

L’amour dit-on, on ne le voit pas, on le sent… Il entre dans le cœur des êtres, fragile, impalpable, ineffable… et pourtant, que peuvent richesse et pouvoir des puissants contre le chant muet des roses ou des fleurs mauves au bord des champs ?

On ne peut ordonner au parfum de se taire…

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